Une réforme globale s’inscrivant dans une idéologie autoritaire et centralisée
Dans son livre intitulé « Construisons ensemble l’École de la
confiance » au début du chapitre consacré à la formation initiale des
professeur·ses, Jean Michel Blanquer écrit : « La formation initiale est [en effet] la clé de la transformation de notre école. »
Un peu plus bas : un premier bilan des ESPE s’impose d’autant qu’elles
se caractérisent par la diversité de leurs projets pédagogiques. A
l’aune des retours d’expérience qui nous parviennent et des priorités
données à la maitrise des savoirs fondamentaux, des ajustements des
formations sont inévitables. Il y reprend l’exemple qu’il avait déjà
donné dans un précédent ouvrage « L’École de demain » de la formation en
médecine dont le modèle se fonde à la fois sur l’excellence
scientifique et sur un exercice progressif et continu de praticien·ne.
Plus loin, il dit encore que la question des ESPE n’est pas tant un
sujet de structure que de contenu : qui y enseigne et qu’y
enseigne-t-on ?
Dès lors chacun·e comprend aisément que la réforme de la formation
initiale des enseignant·es et des personnels d’Éducation est une réforme
globale qui va modifier en profondeur, les parcours de celles et ceux
qui se destinent aux métiers de l’Éducation, mais encore très
probablement leur entrée dans le métier et l’exercice de celui-ci une
fois qu’ils et elles auront réussi leur concours.
Conjuguée à une idéologie autoritaire et une politique austéritaire,
cette réforme entérine tout à la fois la reprise en main de la formation
par l’État employeur qui dicte sa volonté et un ajustement des
ressources humaines répondant aux impératifs de réductions des budgets
par une optimisation de l’utilisation des moyens humains.
Plus largement, l’idéologie présidant à cette réforme s’inscrit dans
la droite ligne de l’alignement des services publics sur les normes du
capitalisme dans sa version néolibérale.
Les différentes étapes de la réforme
La loi « Pour une École de la confiance »
Tout commence avec la loi « École de la confiance » de juillet 2019.
Les articles 43 à 45 de cette loi modifient le code de l’Éducation,
créent les INSPE afin de « rénover la formation
des enseignants en créant un nouveau référentiel de formation mis en
œuvre au sein des INSPE afin d’homogénéiser l’offre trop hétérogène des
ESPE » dans le but de permettre ainsi l’élévation du niveau
général des élèves. La gouvernance de ces nouveaux instituts nationaux
supérieurs du professorat et de l’Éducation est également modifiée
puisque désormais leur directrice ou directeur sera nommé conjointement
par le ministre de l’Éducation et celle de l’Enseignement supérieur. Au
passage encore, cette transformation permet le regroupement des 26 ESPE
en 13 INSPE répondant ainsi à la nouvelle cartographie des régions suite
à la réforme territoriale de 2016.
La loi « École de la confiance » entérine également la mise en place
de la préprofessionnalisation avec la création des Assistant·es
d’éducation Prépro qui se destinent aux métiers de l’Éducation et qui
peuvent donc être recrutés dès la L2.
D’entrée de jeu le message est clair : le ministère de l’Éducation
nationale, en tant qu’employeur, reprend la main sur la formation des
personnels enseignant·es et d’éducation et entend bien définir ses
conditions pour ses « futurs employé·es ».
Viennent ensuite les modifications des contenus
des référentiels de formation et des concours d’accès aux métiers de
l’Éducation.
Un nouvel arrêté pour les masters MEEF
En tant qu’employeur, le ministre de l’Éducation commence par poser
les attendus à l’entrée de la formation en master MEEF. Ce référentiel
complète celui déjà existant des compétences professionnelles définies
en 2013.
Le texte de l’arrêté a enfin été promulgué en deux temps puisqu’il y a
eu un premier arrêté le 28 mai 2019 puis un second le 24 juillet 2020
pour modifier l’arrêté d’août 2013. Il met en place un cadrage très
précis de l’architecture des master MEEF dispensés dans les INSPE, en
insistant sur la nécessité de la vocation professionnalisante de ce type
de formation universitaire. L’arrêté consacre également les parcours de
formation en amont et en aval du master et déplace le concours de
recrutement en fin de M2.
Il consacre ainsi la volonté ministérielle de passer d’une formation à
un métier de conception à celui d’exécutant·e sous l’autorité
hiérarchique de l’Éducation nationale, avec beaucoup mois de liberté
pédagogique et une simple mise en œuvre des « bonnes méthodes » imposées
par le ministère et les rectorats. On y retrouve également l’idée que
les bons formateur·trices sont celles et ceux qui sont encore sur le
terrain.
Ce nouveau cadrage pose également le principe que le métier s’apprend
in situ en étant soi-même confronté à la réalité du terrain d’abord par
des stages d’observation et de pratique accompagnée en M1 mais très
vite également par des périodes d’alternance donnant lieu à un contrat
de travail au motif de favoriser une entrée progressive dans le métier.
Ces périodes d’alternance pourraient commencer dès le S2 de M1.
C’est purement et simplement, l’utilisation des étudiant·es en master
MEEF comme des moyens d’enseignement à très peu de frais,
puisqu’elles·ils seront rémunérés comme des contractuel·les de
l’Éducation pour un tiers temps d’enseignement sur une durée d’un an ou
un temps complet sur une durée de 12 semaines cumulées pour les CPE.
Dans le parcours de formation cette période en milieu professionnel
aura autant de poids que le mémoire du master, chacun valant 20 ECTS sur
les 120 du master (M1 et M2 réunis).
Ce nouveau parcours de formation en master MEEF
conduit également à une nouvelle définition des épreuves aux concours
ouvrant l’accès à la fonctionnarisation.
De nouveaux arrêtés pour les concours d’accès aux métiers de l’Éducation
Ces textes sont toujours en cours d’élaboration et n’ont pas fait
l’objet d’une communication officielle vers les organisations
syndicales. Toutefois, des fuites nous permettent aujourd’hui de dire
qu’ils comportent une nouvelle épreuve orale d’admission, fortement
coefficientée, qui serait une épreuve destinée à apprécier la capacité
du·de la candidat·e à pouvoir se projeter dans le métier de
professeur·se, à s’intégrer dans un collectif de l’établissement, à
montrer que son projet est mûrement réfléchi et à faire partager au jury
son envie d’enseigner (sic !) Il s’agit bel et bien d’une forme
d’entretien d’embauche tel qu’il peut exister dans le secteur privé. S’y
ajoute la production d’une fiche de candidature fournie au jury dans
laquelle le·la candidat·e doit indiquer ses études antérieures, les
stages effectués et l’expérience professionnelle antérieure le cas
échéant. De surcroît, la composition du jury est assortie d’un personnel
RH (entendez par là un·e chef·fe d’établissement).
Et après le concours ?
Le flou persiste sur la formation du·de la fonctionnaire stagiaire
pendant un an, surtout sur les modalités des stages pour les lauréat·es
de concours titulaires d’un master MEEF, tout comme sur celle pourtant
prévue dans l’article 4 de l’arrêté du 27 août 2013 modifié sur la
formation en T1, T2, T3 des jeunes titulaires.
Jusqu’à présent, les lauréat·es de concours qui n’avaient pas
d’expérience professionnelle bénéficiaient d’un ½ temps en
responsabilité et d’un ½ temps de formation en INSPE. Qu’en sera-t-il
demain avec des lauréat·es ayant suivi une formation avec une alternance
comme celle prévue dans les nouveaux master MEEF ?
Enfin dernière nouveauté : très récemment le ministère nous a
présenté le nouveau projet de PPPE (parcours préparatoire au professorat
des écoles), dernier élément de la série du dispositif qui témoigne que
nous ne sommes pas au bout de cette réforme et qui contribue à
déstabiliser un peu plus le schéma de formation initiale dans notre
pays.
Une réforme inadmissible
Cette réforme entamée à peine 6 ans après la recréation des ESPE (ex
IUFM disparus sous Sarkozy) est le fruit tout d’abord de l’idéologie du
ministre de l’Éducation nationale mais aussi des attaques successives de
la Cour des Comptes, des politiques avec le rapport des sénateur·trices
à la demande de la commission de la culture, de l’Éducation et de la
communication du Sénat.
Depuis 2018 maintenant cette réforme est en construction, mais jamais
elle n’a été présentée dans sa globalité aux organisations syndicales
lors des différentes rencontres. Le ministère, fidèle à ses pratiques
avec sa conception très particulière du « dialogue social », a présenté
isolément les différents éléments qui la composent dans des groupes de
travail différents, de manière à éviter tout débat et surtout toute
réflexion approfondie pour une formation permettant une entrée
progressive et sécurisée dans les métiers de l’Éducation. Comme bien
souvent, cette réforme est mise en place de manière précipitée et sans
être réellement préparée.
Autorité et mise au pas
En imposant ses critères pour la formation des futurs
professionnel·les de l’Éducation, le ministère se comporte en chef
d’entreprise présentant des profils de poste pour ses futurs salarié·es.
Ce n’est pas étonnant puisque leur conception néolibérale relève bien
du modèle de management des grandes entreprises.
Justifier cette réforme tant par l’échec de la masterisation, que par
celui des ESPE alors que les différentes lois LRU livrent l’enseignement
supérieur aux appétits privés et aux politiques néolibérales dominantes
qui consacrent le profit dans tous les secteurs, est scandaleux.
Les futurs enseignant·es ne peuvent pas subir le formatage de
l’Éducation nationale et doivent conserver toute leur liberté dans le
choix de leur parcours de formation afin de garder intact leur esprit
critique et d’initiative.
Alternance et précarisation des étudiant·es en Master MEEF
Les étudiant·es en M1 doivent suivre un premier stage d’observation
et de pratique accompagnée de 6 semaines, puis une alternance de 12
semaines cumulées sur un an avec 6 heures d’enseignement en
responsabilité complète ou 12 semaines de travail à 35 heures minimum
pour les CPE. Elles·ils seront donc largement utilisés comme moyens
d’enseignement en remplacement des titulaires absents. Cela ampute
d’autant leur formation dans les instituts de formation. Le fait de
commencer l’alternance en milieu d’année sera déstabilisant pour elles
et eux et inévitablement facteur de stress et de difficultés.
Immanquablement cette réforme ne va pas contribuer à l’attractivité
du métier et dégradera encore plus les conditions de formations des
étudiant·es voire même les conditions d’apprentissage des élèves puisque
ceux-ci et celles-ci auront probablement deux étudiant·es successifs
dans une même année.
Pour ce qui est de l’épreuve orale d’admission qui peut facilement
s’assimiler à un entretien d’embauche elle n’a pas sa place dans un
concours de la Fonction publique. Les modalités annoncées génèrent une
rupture du principe d’égalité.
Alors qu’actuellement, en M2, les reçu·es aux concours sont
fonctionnaires stagiaires rémunérés 1450 € net par mois, ils et elles
vont devenir contractuel·les pour 665 € net par mois. C’est une très
nette dégradation de leurs conditions de travail. Ils et elles devront
assurer un tiers temps d’enseignement en pleine « responsabilité »,
valider leur Master, rédiger leur mémoire et préparer le concours. Ils
et elles vont donc devoir travailler plus et gagner moins, en étant
précaires.
Le ministère prétend, avec sa réforme, rendre le métier plus
attractif. C’est en fait tout le contraire. La crise du recrutement va
s’aggraver et de plus en plus de contractuel·les vont occuper des postes
de fonctionnaires. Ces étudiant·es contractuels vont servir de main
d’œuvre corvéable pour le ministère et être des « bouche trous ». On est
loin d’une responsabilité « professionnalisante », avec une véritable
formation. D’ailleurs, les tuteur·trices de terrain, qui sont censés les
accompagner et les former, voient leur statut se dégrader. Actuellement
un·e tuteur·trice touche 1200 € d’indemnité pour suivre un·e stagiaire,
cette indemnité va passer à 600 € !
Cette réforme ne vise pas à améliorer le recrutement et la formation,
mais vise à faire des économies et précariser davantage les profs. La
baisse de la qualité de la formation vise à accélérer et accentuer la
transformation du métier.
Les revendications de la CGT
Prévue pour une entrée en vigueur dès 2020 pour la mise en place des
nouveaux masters et mars 2022 pour les nouveaux concours, cette réforme
est inapplicable. Les organisations syndicales et l’ensemble des
acteur·trices de la formation ne décolèrent pas et continuent d’en
demander le report.
Cette réforme est avant tout budgétaire, une fois de plus ! Elle
accélère la transformation du métier : de concepteur·trice de son
enseignement, la·le futur professeur·se va devenir un·e simple
exécutant·e des directives ministérielles et rectorales.
La FERC-CGT revendique une autre réforme de la
formation : un recrutement en fin de licence puis 2 ans de formation
sous statut de fonctionnaire stagiaire, rémunéré à temps plein, avec une
entrée progressive et accompagnée dans le métier sans que les
stagiaires soient considérés comme « moyens d’emplois ».
Cette réforme s’inscrit dans la loi d’Août 2019 sur la refondation de
la Fonction publique. Cette volonté de généraliser le pré-recrutement
d’enseignant·es sous statut de contractuel·le et non plus sous statut de
fonctionnaire, à l’image de ce qui s’est fait à la SNCF, est une
attaque de plus contre le service public de l’Éducation nationale.
La FERC-CGT refuse cette réforme et appelle les
étudiant·es, les stagiaires, les formateur·trices, les enseignants·es à
se mobiliser pour s’opposer à la casse programmée du statut
d’enseignant·e et à la perte de sens du métier.